Au-delà de la nécessité, de la réforme des retraites, la vraie question n’est pas de savoir s’il faut travailler plus mais de trouver comment travailler mieux. Cela permettrait de sauver notre système de retraite par répartition, basé sur la noble valeur de la solidarité intergénérationnelle.

Les chiffres sont parfois têtus. Encore à l’équilibre aujourd’hui, notre système de retraite sera déficitaire de 12 milliards d’euros en 2027 et 21 milliards en 2035 selon le COR. Un constat logique qui s’explique par la conjonction de deux phénomènes : la hausse du nombre de retraités d’un côté et la baisse de la population active de l’autre. Il convient de rappeler que la retraite à 60 ans n’est pas un acquis aussi ancien que les congés payés par exemple (1936). Il s’agît d’une promesse électorale faite par François Mitterrand pour sa réélection en 1981, appliquée en 1982. Avant cela, l’âge légal de fin d’activité était fixé à 65 ans. Or, que s’est-il passé depuis les années 80 ? L’espérance de vie a augmenté de 7 ans pour les hommes (à 79,3 ans) et 9 ans pour les femmes (à 85,2 ans), ce qui a mécaniquement fait croître le nombre de retraités.

Une réforme nécessaire mais au bon moment et avec la bonne méthode

Parallèlement à cela, se pose un problème démographique. La population active, qui était en croissance depuis des années, stagne aujourd’hui et va décliner à partir de 2030. En clair, la balance de la population active (la différence entre le nombre de personnes qui entrent sur le marché du travail et ceux qui partent à la retraite) a longtemps affiché un solde positif de 150 000 personnes. Aujourd’hui, elle est tombée à 10 000, ce qui correspond à une création nette d’actifs de + 4 %. Elle sera de – 5 % en 2030. Corollaire de cela, le nombre d’actifs pour financer un retraité baisse, il est désormais de 1,7 pour 1 contre 4 pour 1 en 1960.

Si on est attaché à notre système de retraite par répartition, qui fait jouer un mécanisme de solidarité intergénérationnelle, une réforme s’impose. Pourtant, ce projet mobilise contre lui et suscite des débats enflammés. La raison est simple : au-delà de la légitimité de l’évolution du système, se pose une question de forme. Le calendrier choisit répond à une logique électorale qui veut que les grandes réformes soient prises en début de quinquennat. Mais après deux années de Covid, une conjoncture post-pandémie difficile, la guerre en Ukraine et l’inflation qui détériore le pouvoir d’achat et pose un vrai problème social, les Français sont fatigués. Or une réforme telle que celle des retraites doit être faite sur un temps qui permet les échanges, pour aller au fond des sujets, dans un climat apaisé.


En pleine mutation, il faut redéfinir notre rapport au travail

La question posée autour des retraites et de la perspective de travailler plus longtemps interroge aussi l’ensemble de la société sur le rapport au travail. Le véritable enjeu est de savoir quelle place on veut accorder à l’activité professionnelle dans sa vie. Pour de multiples raisons, et en particulier à cause de la crise du Covid, le rapport au travail est en pleine évolution, avec des repères qui disparaissent. Si l’on considère que travailler est pénible, il est évident que le recul de l’âge de la retraite n’est pas souhaitable. Si en revanche on pense que travailler est un moyen de se réaliser, de s’épanouir, de donner du sens et de rester en bonne santé (ce que beaucoup d’études tendent à prouver), cela change radicalement le prisme.

Plutôt que sur l’allongement de la durée de travail, l’attention doit dès lors se porter sur la façon dont on va pouvoir travailler mieux. En améliorant les conditions d’activité, le paramètre temps de travail ne cristallisera plus les débats. Travailler mieux, cela passe par l’aménagement du travail, la qualité de vie en entreprise, le sens donné à l’activité et l’équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Il y a une nécessité de prise en compte de ces paramètres par les entreprises qui doivent faire l’effort de s’adapter à ces nouvelles contraintes et ces nouveaux enjeux. Pour cela, il est important laisser libres le débat et les discussions dans l’entreprise, avec les partenaires sociaux, pour faire du sur-mesure en fonction des secteurs. Le mal français est de toujours adopter une approche globale par la loi, de façon comptable et contraignante, qui entraîne beaucoup de difficultés dans la mise en œuvre.

Faciliter l’entrée et la sortie de l’activité par l’entraide intergénérationnelle

Pour rééquilibrer le système, il faut jouer à la fois sur une entrée dans la vie active plus rapide et un prolongement des carrières. L’apprentissage répond au premier objectif en formant des jeunes aux métiers que recherchent les entreprises : tous les diplômés devraient commencer leur carrière par un contrat d’apprentissage, cette proposition figure dans le livre « Le Travail pour Tous » publié en 2017 chez Alisio. Concernant l’allongement de la durée de travail, elle doit passer par un aménagement de l’exercice de l’activité. La semaine de 4 jours (32 heures) apparaît comme une solution pertinente qui offre la possibilité aux séniors de rester actifs tout en ayant un rythme allégé. Cette option peut de surcroît être mise en œuvre dans de nombreux secteurs et convient à beaucoup d’entreprises.

De ces deux actions (entrée dans la vie active plus rapide et carrière prolongée) née une opportunité intergénérationnelle. Il serait ainsi souhaitable que la fin de carrière se fasse sur un modèle de tutorat. Durant là où les dernières années de carrière, la mission principale des séniors doit s’orienter vers la transmission du savoir, des connaissances et de l’expérience au profit des jeunes générations. De cette manière, non seulement les compétences restent dans l’entreprise, mais l’entrée des jeunes dans la vie active est facilitée par cette approche bienveillante. Aucune école ne pourra jamais proposer une formation équivalente. Cela règle aussi, dans bon nombre de cas, le sujet de la pénibilité : le jeune effectue les tâches physiques sous la supervision du sénior qui lui évite de commettre des erreurs.

Sauver un système de retraite basé sur la solidarité intergénérationnelle par la mise en place d’une entraide intergénérationnelle au sein de l’entreprise, c’est cela aussi donner du sens au travail. C’est également une façon efficace de concilier les aspirations individuelles et l’intérêt collectif.

Samuel Tual, Président d’Actual group